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Rassegna bibliografica
Ottocento a) dal 1800 al 1850

Jean-Louis Cabanès, Le Négatif, Essai sur la représentation littéraire au xixe siècle

Emmanuel Godo
p. 580
Notizia bibliografica:

Le Négatif, Essai sur la représentation littéraire au xixe siècle, Paris, Classiques Garnier, «Études romantiques et dix-neuviémistes», 2011, pp. 304.

Testo integrale

1L’essai de Jean-Louis Cabanès est de ceux que l’on ne peut écrire qu’en pleine maturité, à la lumière d’une vie de recherche et de questionnements, lorsque, dégagé des impératifs plus ou moins circonstanciels, on fait retour sur ce que l’on a glané au fil des années pour en dégager les lignes de force. Le projet est ambitieux puisqu’il s’agit de «caractériser la littérature que l’on dira moderne» en prenant en compte ce que l’auteur nomme «trois grands transversaux»: «le sublime et ses métamorphoses, le grotesque et la fantaisie, enfin les relations qu’entretiennent la mimesis réaliste et l’hallucinatoire» (p. 7). Dit autrement, il s’agit d’analyser le lien unissant l’émotion littéraire et la négativité. Le but est clair et l’auteur en explore les diverses manifestations dans un essai qui assume sa dimension rhapsodique, au risque de parfois enivrer le lecteur par son feu roulant de références. Des introductions et des conclusions soigneusement réparties lui permettent de reprendre pied.

2Dans la première partie, nous entrons en «Mélancolie», expérience toujours passionnante et riche d’enseignements pour redécouvrir, avec le père Bernard Lamy, que «nous sentons que nous sommes faits pour quelque chose de grand sans comprendre quelle est cette grandeur» (citation rappelée p. 21). Jean-Louis Cabanès nous guide à travers cette «dynamique de l’objet absent» (p. 22) qui crée chez l’homme un sentiment d’inquiétude sans fin qui alimente ses passions et emporte l’histoire de révolutions en révolutions. Nous réentendons les arpèges de l’effroi qui conduit l’homme aux bords des précipices et lui fait éprouver un désir de dépassement qui n’est pas toujours à lire sous le signe du sacré. Naît, dans cet élan vers le vide, une poétique de l’enchantement suspendu qui produit des usages nouveaux de la prose, dont l’œuvre de Chateaubriand, en particulier, porte magistralement la trace.

3Dans la deuxième partie, nous entrons en modernité par le biais du rire: «C’est à partir du risible et de ses incertaines frontières, c’est en s’interrogeant sur les formes et les objets qui le suscitent, que les écrivains et les artistes affirment la modernité du Romantisme…» (p. 119). Si Cabanès nous invite à relire la préface de Cromwell, il l’enrichit de Musset, de Heine, de Schlegel. Puis c’est la traversée de la blague, dont Nathalie Preiss a établi l’importance, au plan esthétique, dans son excellent Pour de rire! La blague au xixe siècle (PUF, 2002). L’enjeu est de taille, comme l’assène Flaubert: «Arracher la langue aux imbéciles, aux redoutables et définitifs idiots de ce siècle» (cité p. 145). Dans cette «secondarité secondarisée» par laquelle il s’agit d’imiter ceux qui imitent (p. 149), ce qui se joue, c’est une dégradation de l’épique par le biais de la parodie. L’homme du xixe siècle devient l’acteur d’une tragédie dont le pire supplice consiste à ne pas être sérieuse: celle d’un être qui, né pour la grandeur, est condamné à vivre dans un univers miniaturisé. De Nerval à Verlaine ou Huysmans, Cabanès se montre un guide remarquable. Quel dommage de n’avoir pas sollicité davantage Musset – cela aurait été une belle occasion d’en redécouvrir toute l’inventivité et la profondeur lucide dans le désenchantement. Mais ne boudons pas notre plaisir: placer Huysmans parmi les blagueurs mélancoliques est d’une grande justesse.

4Dans la troisième partie, la photographie réaliste se distord sous nos yeux et, en lieu et place du visible, c’est l’hallucination qui transparaît. À vouloir peindre la fleur, ce n’est pas seulement l’absence de tout bouquet qui surgit, mais encore une fleur mentale, délirante, celle-là même que Huysmans fait respirer à Des Esseintes, pour le conduire ailleurs que dans le réel, quelque part hors du monde.

5Une trouée se fait donc jour au sein du paysage du xixe siècle, par la mélancolie, par le rire et par l’hallucination. Jean-Louis Cabanès en montre les contours, en ausculte les manifestations avec une dextérité admirable. On ne lui reprochera pas de ne pas aller plus loin, tant la critique nous a appris à respecter le décret flaubertien – ne surtout pas conclure, de peur d’être taxé de bêtise.

6Mais, par gratitude à l’égard de l’essai de Jean-Louis Cabanès, et du parcours intellectuel qu’il nous a permis de refaire à travers des livres tant aimés, nous pouvons lui adresser un amical reproche, à la mesure des perspectives qu’il ouvre: celui d’avoir écrit un livre admirable auquel il ne manque qu’une conclusion. Soit, pour le dire autrement: suivre le travail du négatif n’est pas suffisant et nous laisse sur notre faim. Il faudrait encore voir vers quelle forme de foi il conduit ceux qui l’accomplissent. Chateaubriand, Hugo, Nerval, Huysmans, Baudelaire et Flaubert même, pour ne citer qu’eux, ne se sont pas contentés de se sentir à l’étroit dans un monde sans âme – ils ont contribué à maintenir la possibilité d’un monde où l’esprit pouvait continuer à vivre.

7Si l’on nomme modernité le travail de sape, nous n’en saisissons qu’un aspect – le plus évident mais somme toute le moins intéressant car par trop incomplet –, si l’on nomme modernité le travail de sape qui permet à l’homme de garder une respiration spirituelle dans un monde qui s’assèche, on saisit ce que la littérature a de vital et ce que celle du xixe siècle a encore à nous dire. Chacun des auteurs phares du xixe siècle nous confirme que nous sommes faits pour une grandeur à laquelle seule la littérature donne une forme acceptable, c’est-à-dire qui ne la dénature pas. En négatif se dessinent les contours d’un objet absent, néanmoins parfaitement lisible.

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Notizia bibliografica

Emmanuel Godo, «Jean-Louis Cabanès, Le Négatif, Essai sur la représentation littéraire au xixe siècle»Studi Francesi, 168 (LVI | III) | 2012, 580.

Notizia bibliografica digitale

Emmanuel Godo, «Jean-Louis Cabanès, Le Négatif, Essai sur la représentation littéraire au xixe siècle»Studi Francesi [Online], 168 (LVI | III) | 2012, online dal 30 novembre 2015, consultato il 29 mars 2024. URL: http://journals.openedition.org/studifrancesi/3764; DOI: https://doi.org/10.4000/studifrancesi.3764

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Emmanuel Godo

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